MONTPELLIER

La gare Montpellier Sud de France, « La Mogère », la mal-aimée.

Mise en service en décembre 2017, la deuxième gare TGV de Montpellier Sud de France, a accueilli les premiers passagers le 7 Juillet 2018. Le projet aurait-il déraillé ?

Dans ce type de dossier, qui dure, qui coute, qui se voit, qui est engageant, les intervenants sont nombreux et les enjeux colossaux. Les grands argentiers et l’état s’y rencontrent et collaborent. Les promoteurs privés et le service public contractualisent et y font des affaires. Les grands entrepreneurs semblent écraser « les petites gens ». Certains estiment avoir été écarté des consultations. D’autres pensent que l’on gaspille les deniers publics. Tous les ingrédients sont là pour que naissent les fantasmes les plus improbables.

La nouvelle gare de Montpellier Sud de France dite « la Mogère » est une star.

Telle une diva, la nouvelle gare TGV de Montpellier Sud de France est l’objet d’une succession de rumeurs, de discours, de contradictions.

Obscur sujet de désir, de combats, de jalousie, de chamaillerie, elle enflamme la twittosphère.

Saga aux multiples épisodes et rebondissements, elle stimule toutes les passions.

Transferts en masse d’argent public, projets pharaoniques, polémiques, égocentrisme politique, intérêts occultes sont quelques bruits qui circulent.

Les quais vident avec au centre la voie protégée et réservée au transport de fret – Photo © JJF 2018 

Deux gares pour Montpellier, est-ce bien raisonnable ?

Pour certains, c’est le symbole d’un monde qui serait ouvert à tout vent avec excès. D’autres ne voient simplement pas quelle motivation pousse Montpellier à se doter d’une deuxième gare. Si elle est autant décriée, c’est probablement à cause des montants financiers qui sont en jeu. Le coût de la construction, incluant la prolongation d’une ligne de tramway s’élève à 140 millions d’euros.

La deuxième raison s’appuie sur du concret. Un chantier qui a duré trois ans, qui s’est achevé en 2014 et qui a couté 56 millions d’euros. Celui de la rénovation de la gare historique du centre-ville Montpellier-Saint-Roch. La population, habitants comme voyageurs, se souvient des désagréments. Elle a du mal à comprendre ces nouvelles dépenses. Elle se pose la question de la pertinence de la création d’une nouvelle gare. Alors que ce quartier est en pleine transformation. Les anciens hangars de la gare de marchandise ont laissé place à une vaste friche où d’imposants building modernes et design sont en construction.

Nouvelle gare TGV Montpellier Sud de France vue depuis la route en circulation alternée provenant du centre commercial Odysseum – Photo © JJF 2018 

Son histoire est-elle vraiment sulfureuse ?

Evoqué dès 1999 par le maire de l’époque, le projet d’une nouvelle gare a été validé définitivement en 2008 juste avant la crise financière mondiale. Elle s’intègre dans un dispositif, plus large qui dépasse la seule problématique de la desserte de la métropole de Montpellier par le TGV.

La Catalane brillait encore de tous ses feux

Au commencement, il y a la volonté d’une ligne à grande vitesse entre Paris et Barcelone. Ce projet est lancé en 2008. La ligne est inaugurée en 2013. Depuis la capitale française, le tronçon à grande vitesse ne fait pas tout le trajet. Il s’arrête entre Avignon et Nîmes. Montpellier est à près de 3 heures de Barcelone en TGV soit 40 minutes de moins qu’en voiture.

Il est alors décidé de lancer une première opération de prolongation des voies à grande vitesse jusqu’à Montpellier. Ceci impose un contournement des villes de Nîmes et de Montpellier (CNM). Une nouvelle gare doit être créée dans chaque cité. C’est 80 km de voies, dont 20 km de raccordement. Le trajet Montpellier-Paris gagne 20 minutes. Le projet est évalué à près de 2 milliards d’euros. En 2011, le montage financier fait l’objet d’un accord entre toutes les parties. (Lire l’accord en pdf)

Le financement est décidé en 2012 par les collectivités, l’état, l’Europe et à l’époque RFF (Réseau ferré de France devenu SNCF RESEAU).

Aujourd’hui, le projet global de liaison ferroviaire, reliant à grande vitesse les deux villes Française et Espagnole, est toujours hypothétique. Au plus court, pour rejoindre Barcelone en TGV, il faut toujours 6 h 21 depuis Paris et 2 h 52 depuis Montpellier. (Source OUI.SNCF)

Milliards d'euros
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Le projet de financement établi et signé par toutes les parties en 2011 s'élève à près de 2 milliards d'euros

Objet de toutes les passions ?

Si, depuis le début, les arguments favorables n’ont pas manqué, de nombreuses voix se sont élevées contre. De multiples recours ont été exercés mais sont épuisés. La gare de Montpellier définitivement achevée est solidement ancrée sur ses terres.

Une nouvelle folie ?

L’endroit géographique choisi pourrait prêter à sourire.  Localement, la gare a emprunté le nom du domaine viticole voisin. Le château privé de La Mogère. Ironie de l’histoire, ce domaine est classé depuis 1945 par les monuments historiques, dans la catégorie des « folies vigneronnes du 18-ème siècle ».

La diva serait-elle une danseuse ?

Le trafic y est faible : 1 TGV par jour fait l’aller et le retour avec la Gare de Lyon à Paris.  1 TGV OUIGO (train à bas tarif) fait la navette avec l’aérogare 2 de l’aéroport Charles de Gaulle à Roissy avec un arrêt à l’aéroport Saint Exupéry de Lyon. Enfin un train « Intercités » par jour Bordeaux/Marseille/Bordeaux s’y arrête. Le trafic du fret est opérationnel depuis fin 2017. 15 compagnies se répartissent environ 40 trains de marchandises par 24 heures.

Cette situation va perdurer au moins 18 mois, jusqu’à ce que la nouvelle gare TGV de Nîmes-Manduel sorte de terre car elle a pris plusieurs mois de retard et connait de nombreux épisodes à rebondissement. Actuellement en chantier, elle doit être mise en service courant 2019. Elle doit permettre aux deux gares d’accueillir 20 TGV par jour. En conférence de presse en Juin 2016, constatant que le permis de construire de la gare de Nîmes n’était pas encore déposé, le Président de la Métropole de Montpellier Méditerranée, Philippe Saurel, également maire de Montpellier, menaçait de réclamer par voie de justice les 100 Millions d’euros versés par la métropole « On ne fait pas une gare de 135 M€ pour regarder passer des trains de fret ! ».

Ce n’est pas l’Arlésienne.

Contrairement à la bâtisse de sa voisine régionale, celle qui a failli être « l’arlésienne » et dont le véritable nom est « gare de Montpellier Sud de France » , forte de ses 6.000 m², trône, désormais au-dessus des voies et dit-on des eaux.

Une sirène aux pieds dans l’eau ?

Il n’est pas certain qu’elle soit hors d’eau. Ses fondations traversent le lit d’un ruisseau, le Negue Cats. Invisible par temps sec, il devient un vrai torrent lors des épisodes pluvieux de l’automne (épisodes cévenols). Une partie est en zone rouge du plan de prévention du risque d’inondation (PPRI). Aux dires des détracteurs mais aussi du préfet de l’époque, qui concède à nos confrères de France 3, que « quelques places du parking de la gare sont aujourd’hui dans la zone rouge du plan de prévention contre le risque d’inondation ». Il assure que les bassins d’écrêtement et de rétention qui sont prévus et qui vont être réalisé avant la mise en service des parkings et de la gare vont mettre hors d’eau complètement la totalité de ces parkings. La hauteur permet de la protéger du risque d’inondation et lui donne une certaine allure dont l’architecte peut être fier.

Fière ! Elle est quand même un peu esseulée.

Elle est située sur un immense territoire de garrigues de 35 hectares, au sud de Montpellier. Elle est à 6 km du centre-ville. 

Hautaine, elle serait aussi inaccessible.

Elle est coincée au nord et au sud par deux autoroutes dont aucune n’a d’accès pour la desservir. La ligne de tramway qui devait être prolongée pour la relier au réseau n’est pas commencée. Elle est prévue pour 2021. La régie publique de transport (TAM) a créé une navette routière qui dépanne le voyageur. Le site commercial de la SNCF prend bien soin de rédiger la description de l’endroit en employant le futur : « La gare Montpellier Sud de France sera desservie par plusieurs moyens de transport depuis le centre-ville de Montpellier », peut-on y lire. Pour la désenclaver par le sud, Il a fallu construire un pont afin de franchir les voies ferrées et la nouvelle autoroute de contournement de Montpellier. La quasi-absence de transport public pourrait satisfaire les taxis mais le quotidien régional midi-libre relate qu’ils se plaignent du peu de clients et de difficultés de circulations : « même s’il est souvent désert, le chemin [d’accès] sature très rapidement à l’arrivée d’un train et cela crée des embouteillages. »

La belle s’en trouve quelque peu désargentée.

La région a prévenu depuis 2017. Elle bloque le financement. Sa nouvelle Présidente élue en 2015, Carole Delga (PS) déclare à notre confrère Ecom-News que la gare ne respecte pas la convention qui est conclue entre la région et la SNCF et qu’elle ne le sera que dans 18 mois. Elle poursuit ainsi « je rappelle quand même que la région a participé à plus de 325 millions d’euros [..] sur le contournement de Nîmes/Montpellier et sur les gares. ». La région bloque pour l’instant 33 millions d’euros. Elle dit attendre un courrier officiel d’engagements de la SNCF pour début septembre prochain.

Si jeune et déjà dédaignée.

Le blocage financier a abouti à ce que l’inauguration soit annulée quelques jours avant. Sauf par les opposants écologistes d’Europe Ecologie – Les Verts EELV qui y sont allé pour déchirer un billet factice de 340 millions d’euros.

Une majestueuse sous influence ?

Depuis la décision de financement du CNM, en 2012, le paysage politique a bien changé. Le Président Hollande a laissé place à Emmanuel Macron. Le maire de Montpellier est un nouvel élu, ancien opposant. Les agglomérations sont devenues des métropoles. Leur Présidence n’est pas toujours assurée par le maire de la ville principale. C’est le cas pour celle de Nîmes. La région Languedoc-Roussillon a fusionné avec celle de Midi-Pyrénées. La présidente de la nouvelle région est Toulousaine. Toulouse n’a pas de LGV (ligne à grande vitesse). Les projets (LGV) Bordeaux Toulouse et Montpellier/Béziers sont parfois en concurrence. La seconde ferait gagner 18 minutes de déplacement entre Toulouse et Montpellier. Sans parler de la liaison Toulouse/Barcelone qui est un sujet récurrent.

Des panneaux publicitaires annoncent l’arrivée du nouveau quartier CAMBACERES – au slogan de révolution urbaine – Photo © JJF 2018 

La politique est comme la mode, elle est changeante.

La crise financière de 2008 est passée par là. Le tout TGV n’a plus le vent en poupe. En octobre 2014, la cour des comptes titrait un communiqué de presse par ces mots : « LA GRANDE VITESSE FERROVIAIRE : Un modèle porté au-delà de sa pertinence ». La SNCF est dans le collimateur des politiques et des économistes. Il est parfois question de ne plus desservir certaines gares TGV. La dette est abyssale. L’actualité des grèves fait largement écho d’un malaise social. Alors qu’Air France lance HOP « une nouvelle arme anti-TGV ». L’ancien PDG d’Air France est chargé d’une mission d’observation sur le rail. La destinée de Barcelone est incertaine.

Pourtant si cette gare de Montpellier est aujourd’hui solitaire et largement critiquée, il se pourrait que cela ne dure pas.

Une gare aux atouts insoupçonnés ?

Sur son territoire, une vaste garrigue de plusieurs hectares, l’ancien Président de l’agglomération de Montpellier, Jean-Pierre Moure, avait déjà souhaité implanter un ambitieux chantier urbain dénommé OZ. Lors des dernières élections municipales, Il a été fort décrié par le candidat, Philippe Saurel qui a aujourd’hui pris sa place. Tout n’a cependant pas été rejeté. Le projet « Ode à la mer » qui a vu le jour en 2014 est poursuivi par le nouveau Président. L’ouverture est prévue en 2020. La maquette du nouveau quartier a été présentée en novembre dernier.

Une fois à la tête de la Mairie de Montpellier et de la Métropole, il a lui aussi, intégré progressivement cette nouvelle gare dans un plan d’urbanisme de 30 hectares baptisé le quartier « Cambacérès » dont il se fait le porte-drapeau. Depuis les annonces s’enchainent : 12 septembre 2017, c’est l’endroit qu’il choisit pour l’implantation de la « Halle numérique de la FrenchTech», un des vecteurs du développement de l’économie locale. En Juin dernier c’est la construction d’un nouveau Palais des sports, qui est annoncé et en ce mois de juillet, c’est la possible création à deux pas de la gare, d’un nouveau stade de foot de 30.000 places, baptisé du nom du Président du club local, décédé récemment : Louis Nicollin.

Après une période de désamour, la gare « Montpellier-Sud de France »  deviendra-t-elle une idole ?

En deux décennies, l’eau est passée sous les ponts. Ce ne sont plus les mêmes qui ont la charge du projet, de son usage et de son intégration. La réalité est finalement peut-être plus simple qu’il n’y parait. Au-delà des passions, des inquiétudes, du scepticisme et des clivages politiques, cette gare pourrait être finalement un élément banal. Une architecture structurant la marche normale du développement urbain. L’histoire dira si le projet d’urbanisme dont elle est au cœur est raisonné et s’il est le résultat d’une vision exacte de la mobilité contemporainepour faire face à la  croissance démographique de la métropole.

Détails des financements par opération

Chiffres en millions d’euros tels qu’inscrits dans le document (Source accord de financement 2011)

Chronologie, contexte, grandes dates

Prise de vues, montage, traitement © JJF - 2020
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